L’écoulement turbulent à l’intérieur et au-dessus des canopées végétales : connaissances actuelles et application à l’analyse des dégâts de tempête en forêt
Orateur : Yves Brunet, UMR Ispa, Inra, Bordeaux
Résumé : Les couverts végétaux peuvent être vus comme des surfaces rugueuses exposées à un écoulement turbulent, et présentant plusieurs particularités : les éléments de rugosité ont une extension verticale souvent grande devant leur largeur, ils sont plus ou moins flexibles et sont responsables d’une certaine « porosité » du couvert. La compréhension de cet écoulement est d’une grande importance pour l’analyse et la modélisation des échanges de quantité de mouvement, énergie et matière, mais aussi de la propagation des incendies, de la dispersion de particules ou des dégâts dus au vent.
Observations et simulations ont montré depuis une trentaine d’années que l’écoulement turbulent dans une canopée présente les caractéristiques d’une couche de mélange plane [1] : l’action de la traînée aérodynamique sur le feuillage génère un point d’inflexion dans le profil de vitesse moyenne ; les moments du second ordre montrent de fortes variations verticales ; les structures dominantes, à l’échelle de la canopée, sont semblables à celles résultant des modes d’instabilité de la couche de mélange plane. La présence de topographie ou d’hétérogénéités spatiales (lisières ou clairières forestières [2,3], densité variable...) module ces caractéristiques générales.
Un sujet d’intérêt dans ce contexte est la mécanique de la propagation des dommages en forêt pendant les tempêtes. Les dégâts causés par le vent ont en effet augmenté au cours des 50 dernières années, en raison de l’évolution des modes de gestion forestière, réduisant ainsi le potentiel de stockage du carbone et entraînant de lourdes pertes économiques. Deux principaux types de dommages ont été observés : l’un où les zones affectées sont situées à une certaine distance derrière la lisière et s’étendent dans la direction transversale, et l’autre où ces zones se manifestent sous la forme de bandes longitudinales, parfois de grande longueur. Le premier type résulte de la combinaison d’effets de bord identifiés, mais le second type est moins connu.
Ce dernier cas a été abordé à l’aide de simulations LES incluant un modèle biomécanique de l’arbre qui permet la prise en compte de grandes déformations jusqu’à sa rupture éventuelle [4]. On montre ainsi que la propagation des dégâts se déroule en deux étapes : une phase initiale où des premiers dommages se produisent aléatoirement sous l’impact de structures intermittentes, puis, une fois la zone endommagée devenue suffisamment grande (environ 5 hauteurs de couvert en longueur et 1 en largeur), une phase « catastrophique » où l’accélération de l’écoulement rend la charge moyenne du vent suffisante pour casser de nombreux arbres exposés en aval. En plus de démontrer la possibilité de simuler la propagation des dommages causés par le vent, ces résultats permettent d’améliorer les modèles de risque.
Références
[1] Raupach M.R., Finnigan J.J., Brunet Y., 1996. Coherent eddies and turbulence in vegetation canopies : the mixing layer analogy. Boundary-Layer Meteorol., 78, 351-382.
[2] Dupont S., Brunet Y., 2009. Coherent structures in canopy edge flow : a large-eddy simulation study. J. Fluid Mech., 630, 93-128.
[3] Poëtte C., Gardiner B.A., Dupont S., Harman I.N., Bohm M., Finnigan J.J., Hughes D., Brunet Y., 2017. The impact of landscape heterogeneity on atmospheric flow : a wind-tunnel study. Boundary-Layer Meteorol., 163, 393-421.
[4] Dupont S., Pivato D., Brunet Y., 2015. Wind damage propagation in forests. Agric. For. Meteorol., 214-215, 243-251.
Date et lieu : 20 décembre 2019 à 14h dans la salle de séminaire IRPHE